L'entretien collectif à Pôle Emploi, tout un programme

Lorsque l'on fait une recherche par mots-clefs sur Amazon dans la rubrique "livres en Français" avec les termes "Pole" et "Emploi", on s'aperçoit qu'il existe 1496 résultats, comprenant quelques erreurs mais dont les titres demeurent tout de même très éloquents.
"Pôle emploi, autopsie d'un naufrage" par Hervé Chapron et Patrick Lelong (2014), "Pôle Emploi m'a tue(r) : l'enfer carcéral Pole Emploi du matricule 8189350T" de Nicolas Clément (2014) ou encore "Confession d'une taupe à Pole Emploi" de Gaël Guiselin et Aude Rossigneux (2010), "183 jours dans la barbarie ordinaire : en CDD chez Pôle Emploi" de Marion Bergeron (2010, 2012), etc. J'en passe et des meilleurs ; manuel de survie, ethnographie de l'intérieur, et autres témoignages et enquêtes...

Bien sûr, après avoir effectué la recherche et si tant est qu'un ouvrage mélancolique ou guerrier nous séduise, il conviendra de l'acheter autre part que sur Amazon si nous souhaitons que les librairies demeurent et ainsi éviter qu'elles ne soient remplacées par des agences bancaires et/ou immobilières, des temples de la mal-bouffe et des magasin de vêtements prêts-à-porter fabriqués par des enfants bangladais.


En ce qui concerne les psychologues, il apparaît donc particulièrement naturel que cette officine d'Etat vienne en aide aux plus démunis. Alors, que se passe-t-il vraiment dans ce pôle? Vivant les choses de l'intérieur, je peux à mon tour témoigner des affres de la recherche d'emploi et plus encore peut-être des rustines proposées pour enrayer le chômage.

Un mardi matin, 8h20 devant l'agence Pôle-Emploi.

Il pleut des cordes, jusque là rien d'anormal. Mais plus étonnant, ces hommes et ces femmes, visiblement en avance, qui attendent de pouvoir pénétrer dans le sanctuaire, plus ou moins protégés de l'averse, plus ou moins impatients.
Les portes s'ouvrent et je m'aperçois que je me suis trompé de lieu de rendez-vous, comme une quinzaine de personnes. Je suis surpris que nous nous soyons tous égarés alors qu'effectivement, l'adresse mentionnée n'était pas celle-ci mais comme mes compagnons de galère, j'ignorais qu'il existait un autre endroit pour ce genre de rendez-vous. Bref, une centaine de pas plus tard, j'y suis enfin.

"Convocation à un entretien collectif de suivi". C'est en ces termes que l'agence communique la nature de l'entrevue. Et de toute façon, il n'y a d'autre choix possible que de s'y rendre. 
J'apprends alors que "collectif" peut signifier 44 personnes. Chacun s'installe sur une chaise disposée de façon à ce que nous soyons tous face à un écran de diffusion. Powerpoint et compagnie, je commence à piger un peu mieux l'ambiance.

En tant que "demandeur d'emploi en autonomie", le suivi n'est pas intensif... A la réinscription, j'y voyais une sorte de privilège signe évident de ma non-nullité en ce domaine. En réalité, ce jour-ci, j'ai pris conscience de la masse liquéfiante, noyante de cette qualification. Et j'étais fort loin du sentiment océanique freudien, croyez-le bien. Au cas où l'on se croit seul, le réel vient nous taper un peu fort dans le dos pour nous signifier de façon quasi phénoménologique que ce n'est pas le cas, encore que paradoxalement si, même demeurant des centaines, nous sommes bien seuls avec nous-mêmes.
Mes voisins d'assemblée font partie du lot des réinscrits d'il y a 4 mois, qui fait lui-même partie d'un lot plus global de 500 personnes suivies par conseiller. Autant dire, qu'il n'y a pas de suivi possible ou alors, qu'on m'explique comment c'est possible.
Un simple calcul pour le démontrer. Même en rencontrant chacun de nous 10 minutes, en comptant 35h de travail par semaine, sans pause, en 15 jours, il est impossible de tous nous voir, alors nous connaître, nous "suivre"... A la trace, peut-être.

"1h30 pour connaître tout ce qui existe en terme de "prestations"". Terme non neutre et pour le moins amusant. L'autre grand mot, c'est bien sûr "projet", au sens génialement décrit par Franck Lepage, «Ce mot est tellement positif qu’on ne peut se défendre contre lui [...] C’est lui qui tue le désir en définissant toutes les étapes d’un processus jusqu’à sa conclusion, ce qui fait qu’on n’a plus rien à découvrir, plus d’envie.» 

Quand on n'aura plus rien d'autre à faire, on fera des projets. En attendant, cherchons.

"Objectif" mais alors avec une focal "très grand angle". Concrètement, toute cette entreprise artificielle consiste à nous vendre de la "prestation de montage de projets avec l'objectif de ne plus être demandeur d'emploi à t+4 mois". On nous vend aussi le mythe que des entreprises recruteraient directement à partir de notre CV en ligne. De la science fiction peu crédible. Et puis il y a aussi tous les bons conseils distribués en saccade, comme les avantages de l'évaluation des compétences, de l'habilité, et bien sûr l'évaluation en milieu de travail. Le fameux "contrat" court dont usent et abusent les grands groupes de vente. Un jeune chômeur disponible sur 15 jours gratuitement pendant les vacances de Noël pour vendre des chaussures, c'est du luxe!

Après la mascarade, pour ceux qui sont toujours là, c'est-à-dire ceux n'ayant pu prétexter un entretien d'embauche au beau milieu de la matinée, il faut maintenant rendre sa copie. La fameuse (re)mise à jour de son dossier comprenant ses démarches de retour à l'emploi, tout ça.

La conseillère : "Psychologue clinicien! Pourquoi vous avez choisi psychologue clinicien aussi?! Et pas psychologue du travail. Bon c'était peut-être ce que vous préfériez. Mais heureusement, vous êtes un homme.
Le psychologue démuni : Chic, elle fait les questions et les réponses... - ..."

To be continued...

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